Vieillissement au Japon : l’ampleur du défi

Les changements démographiques sont des tsunamis: ils infiltrent tous les aspects de la vie personnelle, des structures sociales, du marché du travail et de l’économie. Au cours des cinquante dernières années et selon les projections pour les décennies à venir, aussi loin que l’on peut faire de telles projections, le Japon connaît une vague de vieillissement prolongée et sévère. Cet article de blog se penche sur l’ampleur du défi.


Il y a trente ans, j’ai vécu au Japon pendant trois ans. Avec le soutien de la Fondation du Japon et de la Société japonaise pour la promotion de la science, j’ai étudié le vieillissement de la population et son impact sur les pratiques de gestion du personnel [1, 2]. Outre l’Endaka (appréciation rapide du yen), le vieillissement de la population est apparu comme un défi majeur et croissant pour le Japon à la fin des années quatre-vingt. En 1980, avec 9% de sa population âgée de 65 ans et plus, le Japon était le deuxième pays le plus jeune (selon cette mesure) des 24 pays de l’OCDE, derrière la Turquie. L’on prévoyait alors que le Japon deviendrait le troisième pays le plus vieux d’ici 2020 – un défi majeur à relever dans un pays où de nombreux aspects de la vie sociétale reposent sur une structure démographique pyramidale, y compris les pratiques de gestion du personnel des entreprises.

Retournant au Japon au printemps 2017, je voulais revoir la situation. En fait, le vieillissement s’est considérablement accéléré : en 1990, avec 12,1% de sa population âgée de 65 ans et plus, le Japon est passé au 18e rang de vieillissement des mêmes 24 pays de l’OCDE; dix ans plus tard, en 2000, le Japon, avec 18%, était en 2e position et en 2004 – bien loin encore de 2020! – il est devenu le pays à la population la plus âgée de l’OCDE, comptant alors 30 pays [3]. Depuis lors, l’écart avec les pays suivants immédiats, l’Allemagne et l’Italie, n’a cessé de croître. Chaque projection successive montre un processus de vieillissement de plus en plus rapide.

Une projection de « scénario moyen » suggère que le processus de vieillissement aigu progressera jusqu’au milieu du XXIe siècle et que le niveau atteint alors restera très élevé par la suite. Le graphique ci-dessous [4] donne une bonne idée de l’évolution de la composition de la population japonaise par grands groupes d’âge. Au cours des deux décennies qui ont suivi 1990 et mon retour au Canada, la proportion de personnes âgées de 65 ans et plus a augmenté de 5,3 points de pourcentage entre 1990 et 2000, puis de 5,7 points de pourcentage en 2010, pour atteindre 22,9%, proportion la plus élevée parmi les pays de l’OCDE. En 2010, la population japonaise a atteint son niveau le plus élevé: 128,6 millions. Elle n’a cessé de diminuer depuis lors.

Après le « baby-boom » de l’après-seconde guerre mondiale, les effets d’une réduction, induite politiquement, rapide et radicale de la fécondité dès le début des années 1950 ont entraîné une diminution rapide de la population de moins de 15 ans après 1980. En 1960, le taux de fécondité (le nombre d’enfants nés de chaque femme en âge de procréer) était déjà de 2,0, de loin le plus bas parmi les pays de l’OCDE [5]. Après 1980, alors que la population totale a continué de croître, la population de moins de 15 ans a commencé à diminuer considérablement, inversant la base de la pyramide des âges. Le déclin de la population de jeunes, tant en nombre qu’en proportion de la population totale, devrait se poursuivre au cours des prochaines décennies.

Alors que la population des jeunes diminuait, l’espérance de vie augmentait rapidement, ce qui a entraîné une croissance considérable des groupes d’âge plus âgés. L’espérance de vie à la naissance est passée de 67,8 ans en 1960, soit 2,1 années de moins qu’aux États-Unis, à 83,9 ans en 2015, la plus élevée des pays de l’OCDE, et 5,1 ans plus élevée que l’espérance de vie aux États-Unis [6]. Ceci a été réalisé grâce à des gains considérables en années de vie supplémentaires au-delà de 65 ans : de 11,9 ans en 1960 à 19,5 ans en 2015 pour les hommes et de 14,1 ans à 24,3 ans pour les femmes [7]. Ces indicateurs ont tous connu la croissance la plus rapide parmi les pays de l’OCDE.

Ces deux évolutions démographiques ont ensemble provoqué un vieillissement très rapide et aigu de la population japonaise. Après 2010, la population du Japon a commencé à décliner. La population en âge de travailler (âgée de 15 à 64 ans) a atteint son maximum vers 1995. La population active a atteint son plus haut niveau en 1998, puis a connu une tendance à la baisse, malgré un taux d’activité en hausse – de 72,6% en 1998 à 76,9 en 2016 [8].

Donc, selon les derniers chiffres de 2015, la population japonaise comptait 128 millions d’habitants, 26% avaient 65 ans ou plus, dont près de la moitié avait 75 ans ou plus. Selon les projections les plus récentes, en regardant seulement 20 ans devant nous, ces chiffres seront de 118,5 millions, avec près d’un tiers âgé de 65 ans ou plus – dont 60% auront 75 ans ou plus.

Le Japon est “le leader mondial de ce changement démographique” [9]. En tant que tel, le phénomène et ses implications reçoivent beaucoup d’attention de la part des analystes et des milieux politiques. Quelques-uns veulent voir cela en termes positifs : moins d’argent à consacrer à l’éducation de cohortes décroissantes de jeunes écoliers; comme les Japonais sont en bonne santé, malgré le nombre croissant de personnes âgées à soutenir, chacune d’elles nécessite moins de soins; moins de personnes signifie que la population du Japon a un impact moindre sur ses ressources naturelles – moins de pression sur les besoins en nourriture, l’eau, l’énergie et la terre signifie une meilleure qualité de vie pour tous [10].

Cependant, la plupart des commentateurs et des analystes des politiques considèrent le vieillissement comme une cause d’immenses défis : le vieillissement menace les régimes de sécurité sociale, y compris les retraites; le vieillissement questionne les institutions du marché du travail et les pratiques de gestion du personnel, dont beaucoup sont basées sur une structure par âge pyramidale et sur l’ancienneté; le vieillissement affecte la base de connaissances qui génèrent innovation et production, car moins de jeunes arrivent sur le marché du travail fraîchement sortis des universités; le vieillissement exerce une pression sur la cohésion sociale, à mesure que la structure et la composition de la famille changent, affectant les rôles et les responsabilités des divers membres de la famille; le vieillissement apporte probablement de nombreux défis dans beaucoup d’autres sphères de la vie sociale et de l’économie nationale.

Le Japon documente ces défis (il suffit de faire une recherche sur le Web «vieillissement au Japon» pour s’en persuader!) et y fait face avec une large panoplie de développements politiques. Mais quelqu’un est-il capable d’imaginer le développement de politiques et l’adaptation sociétale nécessaires pour relever le défi d’une cible en mouvement continu sur une aussi longue période – même si le processus évolue dans une seule direction prévisible?

Références

[1] Patrice de Broucker (1988), Vieillissement et gestion du personnel au Japon, Revue Futuribles Nº 126, Novembre.

[2] Patrice de Broucker (1992), Le vieillissement de la population : un défi à relever pour l’Etat et les entreprises, Revue française de gestion Nº 91, Novembre-Décembre.

[3] OCDE (2017), Population âgée (indicateur). doi: 10.1787/ebbf8999-fr (Consulté le 15 décembre 2017).

[4] United Nations, Population Division, Department of Economic and Social Affairs, World Population Prospects: The 2017 Revision.

[5] OCDE (2017), Taux de fécondité (indicateur). doi: 10.1787/cfd1ce95-fr (Consulté le 15 décembre 2017).

[6] OCDE (2017), Espérance de vie à la naissance (indicateur). doi: 10.1787/10e83f21-fr (Consulté le 15 décembre 2017).

[7] OCDE (2017), Espérance de vie à 65 ans (indicateur). doi: 10.1787/da7ad49f-fr (Consulté le 15 décembre 2017).

[8] OCDE (2017), Taux d’activité (indicateur). doi: 10.1787/05025ae1-fr (Consulté le 15 décembre 2017).

[9] Reiko Aoki (2013), A Demographic Perspective on Japan’s “Lost Decades”, Population and Development Review, Volume 38, Issue Supplement s1.

[10] Fred Pearce (2014), Japan’s ageing population could actually be good news, Insight, New Scientist.

 

Non solum data – Data sine monito oculo nihil sunt.


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Patrice

Education and labour economist / Économiste de l'éducation et du travail

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