Vieillissement en France : défi particulier d’une population en âge de travailler qui ne croît plus

En février 2018, l’INSEE a publié une remarquable analyse de l’espérance de vie en France en relation avec un certain nombre de caractéristiques de la population, telles que le niveau de vie, le sexe, le niveau d’éducation et la région géographique. L’espérance de vie en France étant une des plus élevées au monde, il n’en fallait pas plus pour que je souhaite explorer la situation du vieillissement dans ce pays, selon la même grille d’analyse éprouvée pour de précédentes analyses nationales.

En France, comme au Canada, en Suède et aux États-Unis, la période de vingt ans se terminant en 2030 – donc la période présente – est celle connaissant le vieillissement le plus rapide (en accordant du crédit aux projections des Nations Unies [1]) : entre 2010 et 2030, l’indice du vieillissement (proportion des personnes de 65 ans et plus dans l’ensemble de la population) passerait de 16,8% à 23,9%, une hausse de 7,1 points de pourcentage, inférieure à celle que connaissent le Japon (une hausse de 11,7 points entre 1995 et 2015) et le Canada (9,1 points de pourcentage), presqu’identique à celle des États-Unis (7,4 points) et nettement supérieure à celle de la Suède (3,9 points). La ligne rouge du graphique ci-dessous nous le montre. Cela se produit en raison du passage de l’âge charnière de 65 ans par les cohortes des jeunes âgés de moins de 15 ans qui voyaient leur nombre croître sans cesse jusqu’en 1975, phénomène naturellement amplifié par la progression tout aussi significative de l’espérance de vie.

Regardons plus précisément comment ont évolué les principaux paramètres sous-jacents au vieillissement, le taux de fécondité et l’espérance de vie.

Quoique décroissant d’un point haut de 2,9 en 1964, le taux de fécondité s’est maintenu au-dessus du niveau 2,0 jusqu’en 1974, assurant cette croissance continue de la population des jeunes de moins de 15 ans jusqu’à cette date [2]. Par la suite, le taux de fécondité est descendu puis demeuré sous la valeur 2,0, atteignant un minimum de 1,7, stable de 1992 à 1997. Il s’est redressé lentement après 1997 pour se stabiliser à 2,0 à partir de 2006. Ces mouvements du taux de fécondité expliquent que la population jeune ait diminué entre 1975 et 2000, avant de progressivement augmenter par la suite.

Qu’en est-il de l’impact du second élément moteur du vieillissement, l’espérance de vie, en France?

De 1960 à 2015, soit en 55 ans, l’espérance de vie à la naissance est passée, en France de 70,3 ans (2,8 ans de moins qu’en Suède, presqu’identique au Canada et aux États-Unis et 2,5 ans de plus qu’au Japon) à 82,4 ans (1,5 ans de moins qu’au Japon, moins d’une année supérieure à la Suède et au Canada et 3,6 ans de plus qu’aux États-Unis) [3]. L’allongement de l’espérance de vie au rythme moyen sur cette période de 80 jours par année a donc été, en France, au même rythme que la moyenne des pays de l’OCDE (79 jours), plus rapide  qu’au Canada (73 jours), en Suède (61 jours) et aux États-Unis (59 jours), mais moins rapide qu’au Japon (107 jours). En résultat de l’allongement de l’espérance de vie et de l’évolution décrite ci-haut de la population jeune, c’est en 2014 que la proportion de personnes de 65 ans et plus a dépassé celle des 14 ans ou moins dans la population totale. Ce phénomène s’est produit en 1998 au Japon, en 2006 en Suède, en 2015 au Canada et ne se produirait que vers 2025 aux États-Unis selon la projection.

Comme partout au monde, l’espérance de vie est plus longue pour les femmes que pour les hommes. L’écart entre les deux a connu trois phases entre 1960 et 2015 : de 1960 à 1987, l’écart a augmenté régulièrement passant de 6,6 années à 8,4 années, soit un gain supérieur en longévité pour les femmes de près de deux années; de 1987 à 1994, l’écart s’est maintenu à ce niveau de 8,4 années; depuis 1994, une diminution sensible de l’écart se produit pour atteindre 6,3 années en 2015. Nous pouvons nous poser la question de savoir si ces mouvements se sont opérés en raison de changements possibles des niveaux de mortalité pour chacun des deux sexes avant ou après 65 ans. L’examen de l’espérance de vie à 65 ans nous apporte de précieux renseignements [4]. Sur la période de 55 ans, alors que l’espérance de vie à 65 ans est déjà sensiblement plus longue pour les femmes en 1960 (15,6 années additionnelles vs. 12,5 pour les hommes), celle-ci a aussi plus augmenté pour les femmes que pour les hommes, de 7,9 années comparées à 6,9 années. Cela nous indique donc que les gains en mortalité ont été plus importants pour les hommes que pour les femmes avant l’âge de 65 ans, puisque l’espérance de vie à la naissance a sensiblement augmenté autant pour les hommes que pour les femmes. Les gains globaux d’espérance de vie à la naissance sont sensiblement identiques selon le sexe. Tandis que pour les femmes ils ont été obtenus plus par la longévité accrue au-delà de 65 ans, chez les hommes ils l’ont été plus par les gains relatifs avant 65 ans.

Il nous faut dire un mot sur l’impact du flux de migrants internationaux. Nous savons que s’il est substantiel il influence la progression du vieillissement dans la mesure où la population immigrante est le plus souvent peu âgée. Pour la France, les données de l’OCDE [5] couvrent les  migrants internationaux permanents au cours de la période 2001-2014 – ceci veut dire que les plus récents flux migratoires ne sont pas inclus. En moyenne sur cette période, le flux annuel d’immigration permanente est modéré (0,33% de la population totale), plus de la moitié moindre qu’au Canada et en Suède, et équivalent à celui observé aux États-Unis. Toutefois, sur toute la période, il est en croissance régulière, passant de 0,23% en 2001 à 0,39% en 2014. L’effet modérateur sur le vieillissement serait donc en légère croissance.

Pour terminer, et comme nous l’avons fait pour les autres pays étudiés, jetons un regard sur quelques implications du vieillissement sur le marché du travail français :

  • En résultat du jeu des deux éléments, les évolutions du taux de fécondité et de l’espérance de vie, la population en âge de travailler (15-64 ans) en proportion de la population totale a atteint son point le plus élevé en 1988 avec un ratio de 66%. Comparé aux autres pays examinés, ce ratio est faible, tout juste un peu supérieur à celui de la Suède, et a été atteint beaucoup plus tôt que dans tous les autres pays, quatre ans plus tôt qu’au Japon, et 19 ou 20 ans plus tôt qu’en Suède, aux États-Unis et au Canada. Il décline depuis cette date. Ceci est un indicateur important car il donne une mesure de la charge potentielle que représentent les populations jeunes et âgées sur cette population « plus productive » : plus ce ratio est élevé, meilleures sont les conditions de soutien aux populations requérant des services sans être en mesure de générer les ressources permettant de les obtenir. La diminution de ce ratio est bien un défi pour les politiques publiques.
  • À la différence de ce qui se produit au Canada où la population en âge de travailler continue de croître malgré le déclin de ce qu’elle représente en pourcentage de la population totale, en France, la population en âge de travailler demeure juste stable – entre 40 et 41 millions de personnes – jusqu’au terme de l’horizon de projection.
  • Toutefois, jusqu’à présent, la population active a continué de croître régulièrement grâce, en bonne part, à la croissance du taux d’activité [6]. Celui-ci atteint son plus haut niveau avec le plus récent chiffre de 2016 (71,7%). Comparé aux taux d’activité dans les autres pays étudiés dans d’autres articles de ce blog, ce taux est sensiblement plus bas, pour la même année, qu’aux États-Unis (72,9%), au Canada (76,1%), au Japon (76,9%) et en Suède (82,0%). Dans ces autres pays, sauf au Japon, ces taux d’activité atteints en 2016 demeuraient en-deçà des taux les plus élevés atteints, ce qui procurait une marge de croissance nationale. Pour la France, une marge de croissance du taux d’activité existe, mais elle tient plus au fait que le taux d’activité français est nettement plus bas que dans ces quatre autres pays, même s’il est à un plus haut niveau historique pour la France.

Références

[1] United Nations, Population Division, Department of Economic and Social Affairs, World Population Prospects: The 2017 Revision.

[2] OCDE (2018), Taux de fécondité (indicateur). doi: 10.1787/cfd1ce95-fr (Consulté le 25 janvier 2018).

[3] OCDE (2018), Espérance de vie à la naissance (indicateur). doi: 10.1787/10e83f21-fr (Consulté le 25 janvier 2018).

[4] OCDE (2018), Espérance de vie à 65 ans (indicateur). doi: 10.1787/da7ad49f-fr (Consulté le 25 janvier 2018).

[5] OCDE (2018), Entrées d’immigrés permanents (indicateur). doi: 10.1787/1bccf3c8-fr (Consulté le 25 janvier 2018).

[6] OCDE (2018), Taux d’activité (indicateur). doi: 10.1787/05025ae1-fr (Consulté le 25 janvier 2018).

 


Non solum data – Data sine monito oculo nihil sunt.


Dans ce blog, nous invitons les commentaires constructifs et les contributions d’articles constructives – voyez notre politique de blog et exprimez-vous!

Print Friendly, PDF & Email
The following two tabs change content below.

Patrice

Education and labour economist / Économiste de l'éducation et du travail

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.