Vieillissement au Canada

Passant en revue l’année 2017 en statistiques, Statistique Canada annonce que pour la première fois dans la très longue histoire du recensement, “on dénombrait davantage de personnes âgées (65 ans et plus) que d’enfants (14 ans ou moins)”. Ceci nous donne l’occasion de regarder l’évolution du vieillissement au Canada, avec les mêmes sources statistiques que nous avons utilisées pour analyser le vieillissement au Japon et en Suède, dans de précédents posts.

Le graphique ci-dessous, en appui à l’annonce de Statistique Canada est très intéressant : il montre la très grande diversité des situations démographiques au sein du Canada. Au Québec et dans les quatre provinces de l’Atlantique, ainsi qu’en Colombie-Britannique, la proportion de personnes de 65 ans et plus dépasse nettement celle des jeunes de 14 ans et moins dans la population. En Ontario, c’est également le cas mais il s’agit, dans cette province comme au Canada dans son ensemble, d’un changement juste acquis au Recensement de 2016. Dans toutes les autres provinces, et de manière encore plus marquée dans les Territoires, la population jeune domine encore largement la population âgée.

Au Canada, les personnes âgées dépassent les jeunes en proportion dans la population
Au Canada, les personnes âgées dépassent les jeunes en proportion dans la population – de très fortes différences régionales

Tournons nous vers le développement du vieillissement au Canada dans son ensemble. Le graphique ci-dessous nous montre que nous sommes justement dans une phase d’accélération du vieillissement au cours de la période 2010-2030 : en vingt ans, l’indice du vieillissement passerait de 14,2% à 23,3% (au conditionnel car une partie de la période est couverte par une projection), une hausse de plus de neuf points de pourcentage! [1] Ceci représente un taux plus du double de celui que nous pouvons constater en Suède sur une quelconque période de cette durée, passée ou projetée, mais toutefois en retrait de deux à trois points sur la « performance » japonaise, championne du monde. Cela se produit à ce moment au Canada en résultat de la très forte progression du nombre d’enfants entre 1950 et 1970, qui passent l’âge charnière de 65 ans – ce phénomène étant bien entendu fortement accentué par la progression tout aussi significative de l’espérance de vie.

Justement, regardons comment ont évolué les principaux paramètres sous-jacents au vieillissement, le taux de fécondité et l’espérance de vie.

En 1960, clé de l’accroissement spectaculaire de la population jeune, le taux de fécondité était de 3,9, un des taux les plus élevés des pays de l’OCDE de maintenant [2]. Rappelons qu’il était de 2,2 en Suède et 2 au Japon cette année-là! Par la suite, le taux de fécondité canadien a rapidement décliné pour arriver en-dessous de 2 en 1973. Il est ensuite demeuré en-dessous de 2, atteignant son point le plus bas (1,5) en 1998, ensuite stable à ce bas niveau jusqu’en 2005. Il n’a que légèrement remonté à 1,6 en 2013. D’un taux de fécondité bas pendant une période aussi longue, on aurait attendu un impact négatif marqué sur la population jeune.

C’est là qu’il est particulièrement important, dans un pays comme le Canada, de considérer un autre facteur qui a, ultimement, un impact très significatif sur la progression du vieillissement. Nous voulons parler ici des flux de migrants internationaux [3]. Ceux-ci soutiennent une croissance de la population jeune et de la population en âge de travailler. À moyen terme, la population jeune est aussi soutenue par la natalité plus élevée chez les immigrants que chez les résidents de souche. Au Canada, le flux annuel d’immigration est intense, s’élevant en moyenne à 0,73% de la population totale sur la période 1995-2014. La composition par âge est sensiblement différente de la population d’accueil : au cours de la période inter-censitaire 2011-2016, 17,8% des nouveaux arrivants avaient moins de 15 ans (16,8% dans la population d’accueil) et seulement 4,6% avaient 65 ans ou plus (16,3% dans la population d’accueil) [4]. En recherchant ces données, nous ne nous attendions pas à la constatation suivante : au cours de la période 2000-2013, la Suède a connu un taux d’immigration presque aussi important que le Canada – 0,7%, avec une croissance plus forte que cette moyenne depuis 2006. Il est certain que l’influence de ce flux migratoire est très présente sur l’évolution du vieillissement dans ce pays, que nous n’avons pas noté dans la revue que nous avons consacré à ce pays. Pas de telle surprise pour le Japon : le taux d’immigration y est très bas, 0,06% en moyenne entre 1998 et 2013, sans effets significatifs sur la progression du vieillissement.

Qu’en est-il de l’impact du second élément moteur du vieillissement, l’espérance de vie, au Canada?

De 1961 à 2013, soit en 52 ans, l’espérance de vie à la naissance est passée, au Canada, de 71,3 ans (2,2 ans de moins qu’en Suède et 2,9 ans de plus qu’au Japon) à 81,7 ans (pratiquement identique à la Suède et 1,7 ans de moins qu’au Japon) [5]. L’allongement de l’espérance de vie de 73 jours chaque année, en moyenne, a donc été plus rapide au Canada qu’en Suède (58 jours), mais moins rapide qu’au Japon (105 jours). En résultat, c’est effectivement autour de 2015 que la proportion de personnes de 65 ans et plus a dépassé celle des 14 ans ou moins dans la population totale. Ce phénomène s’est produit entre 2000 et 2005 au Japon et juste après 2005 en Suède.

L’augmentation de l’espérance de vie à la naissance fait une synthèse des diminutions de mortalité à tous âges. En comparant les gains d’espérance de vie à 65 ans et les gains d’espérance de vie à la naissance, nous pouvons voir le poids relatif des bénéfices de la diminution de mortalité à partir de 65 ans dans les gains totaux d’espérance de vie calculée à la naissance. Au Canada, les hommes de 65 ans pouvaient espérer vivre encore 13,5 années en 1961 [6]. En 2013, ils pouvaient espérer vivre 19 années de plus. Le gain résultant de 5,5 années de vie supplémentaire peut être comparé au gain d’espérance de vie des hommes à la naissance sur la même période, 11,2 années. Ceci nous indique que 49% de l’allongement de l’espérance de vie à la naissance tient aux gains en longévité au-delà de 65 ans. Comment ce ratio se compare-t-il avec celui des femmes et dans les autres pays? Au Canada, ce ratio est de 56% pour les femmes, c’est-à-dire que sur les 9,6 années supplémentaires d’espérance de vie à la naissance gagnées entre 1961 et 2013 5,8 années ont été obtenues au-delà de 65 ans. Les gains d’espérance de vie à la naissance comme à 65 ans, pour les hommes comme pour les femmes, ont été plus importants au Canada qu’en Suède, mais dans les deux cas, hommes et femmes, la part des gains obtenus au-delà de 65 ans est plus faible – en Suède, 56% pour les hommes et 68% pour les femmes. Comme nous l’avons vu pour le Japon, les gains d’espérance de vie y ont tous été les plus rapides et la contribution des gains pour les personnes de 65 ans étaient de 51% chez les hommes et de 63% chez les femmes.

Jetons un regard sur quelques implications du vieillissement sur le marché du travail canadien :

  • La population en âge de travailler (15-64 ans) en proportion de la population totale a atteint son point le plus élevé en 2008 avec un ratio de 69,5%. Il décline depuis cette date. Ceci est un indicateur important car il donne une mesure de la charge potentielle que représente les populations jeunes et âgées sur cette population « plus productive » : plus ce ratio est élevé, meilleures sont les conditions de soutien aux populations requérant des services sans être en mesure de générer les ressources permettant de les obtenir. La diminution de ce ratio est bien un défi pour les politiques publiques. Rappelons-nous qu’il diminue depuis 1992 au Japon et depuis 2007 en Suède.
  • En dépit du déclin de ce ratio, la population en âge de travailler continue de croître et cette croissance continue est projetée pour les décennies à venir. La population active continuera de croître si le taux d’activité se maintient.
  • En 2016, la population active était à son plus haut niveau jamais atteint avec un taux d’activité de 76,2% [7]. Ce taux avait atteint un sommet de 78,4% en 2008 – ce qui montre une marge de manœuvre existante, mais limitée, pour faire face aux charges sociales croissantes qui accompagnent le vieillissement.

Références

[1] United Nations, Population Division, Department of Economic and Social Affairs, World Population Prospects: The 2017 Revision.

[2] OCDE (2018), Taux de fécondité (indicateur). doi: 10.1787/cfd1ce95-fr (Consulté le 25 janvier 2018).

[3] OCDE (2018), Entrées d’immigrés permanents (indicateur). doi: 10.1787/1bccf3c8-fr (Consulté le 25 janvier 2018).

[4] Statistique Canada (2017), Statut d’immigrant et période d’immigration, chiffres de 2016, les deux sexes, âge (75 ans et plus), Canada, provinces et territoires, Recensement de 2016 – Données-échantillon (25 %), Recensement 2016. Lien (Consulté le 25 janvier 2018).

[5] OCDE (2018), Espérance de vie à la naissance (indicateur). doi: 10.1787/10e83f21-fr (Consulté le 25 janvier 2018).

[6] OCDE (2018), Espérance de vie à 65 ans (indicateur). doi: 10.1787/da7ad49f-fr (Consulté le 25 janvier 2018).

[7] OCDE (2018), Taux d’activité (indicateur). doi: 10.1787/05025ae1-fr (Consulté le 25 janvier 2018).

 


Non solum data – Data sine monito oculo nihil sunt.


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Patrice

Education and labour economist / Économiste de l'éducation et du travail

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